Pâques 2013 : Arnaud devient Passeur de Mémoire
Arnaud Van Crombrugge, de 5G, a été choisi par l’équipe pédagogique pour représenter notre Athénée
au voyage de mémoire à Mauthausen offert par la Province de Liège et sa candidature a été retenue.
Il a donc eu l’occasion de visiter pendant quelques jours le camp de concentration autrichien ainsi que
la ville de Nuremberg.
Le 8 mai 2013, lors d’une cérémonie où étaient invités tous les participants au voyage, il a lu son texte
commémoratif :
Voyage à Mauthausen du 2 au 5 avril 2013
Lorsqu’on me proposa de participer à ce voyage commémoratif, je me suis dit que je ne pouvais espérer mieux. J’ai toujours adoré l’histoire, celle avec un grand H, qui a façonné le monde et les hommes, et que nous ne pouvons oublier ; que dis-je, que nous ne devons pas oublier ! La seconde guerre mondiale m’a toujours passionné et intrigué, c’est avant tout le conflit le plus meurtrier que l’humanité ait jamais connu et le plus grand à l’échelle planétaire. On s’est battu un peu partout sur la planète, en mobilisant des millions d’hommes dans les lieux les plus improbables, des campagnes russes aux petites îles perdues du Pacifique, en passant par des villes telles que Rome, Paris, Stalingrad ou encore Berlin. C’est avant tout cela qui m’a attiré, l’ampleur du conflit et comment il a marqué à jamais nos consciences.
Mais revenons à notre voyage. Je disais que je ne pouvais espérer mieux et j’ai donc saisi l’occasion au vol. Mais avant de partir, il me fallait me renseigner davantage. Je connaissais parfaitement l’existence de lieux tels que Mauthausen, Dachau et l’univers concentrationnaire nazi. Mais je m’étais toujours arrêté là, préférant me tourner vers les grandes batailles et les opérations militaires, sans doute pour inconsciemment « occulter » cette douloureuse et intolérable page de l’Histoire. Les premiers documents que j’ai trouvés m’expliquaient que les Juifs n’étaient pas les seules « cibles » des nazis ; il y avait les communistes, homosexuels, intellectuels, et les opposants en tout genre : journalistes, hommes politiques de tous bords, qui avaient compris que le monde risquait de s’enfoncer dans le chaos et la haine si des hommes tels que Hitler prenaient le pouvoir. Le système concentrationnaire et génocidaire nazi, était une machine bien huilée et tout cela ne s’improvisa pas du jour au lendemain. C’est sans doute cela qui fait peur : on a dressé un schéma complet qui abordait absolument tous les aspects de cette tragédie humaine. Comment fut-il possible que des êtres humains fassent subir pareilles atrocités à d’autres êtres humains, ne les considérant plus que comme des chiffres et des statistiques sur une feuille de papier ? Le génocide que nous connaissons prit sa forme définitive lors de la conférence de Waansee. Celle-ci eut lieu en 1942 et avait pour but de mettre en application ce qu’Hitler et les nazis appelaient « La solution finale à la question juive ». L’antisémitisme pathologique d’Adolph Hitler venait de déclencher un génocide quasi industriel, l’archipel concentrationnaire du troisième Reich allait se transformer en usine de mort. Je fis ensuite la découverte des Einsatzgruppen ou groupes d’intervention qui avaient pour objectif d’occuper les territoires conquis lors de la campagne contre l’Union Soviétique. Ces groupes sont responsables de ce qu’on appellera la « Shoah par balle », des massacres contre les populations juives de l’Est qui seront menées avec une barbarie sans nom. Enfin je m’attaquai au gros morceau: les camps, des usines à tuer dont je ne connaissais à vrai dire pas grand-chose mais à force de recherche, je découvris le système mis en place, les hiérarchies entre les prisonniers et les différentes raisons d’internements. Mais c’est en lisant « La mort est mon métier » de Robert Merle, que je saisis les fondements de cette catastrophe humaine : la déshumanisation et la haine. Je ne compris pas tout de suite le sens du premier mot mais le voyage allait me fournir l’explication.
Mauthausen est un charmant petit village autrichien au bord du Danube. Qui aurait pu croire que cet endroit allait être le témoin d’un drame sans nom ? Après avoir franchi le fleuve, le car a continué sur une petite route goudronnée à flanc de colline, et après être arrivés au sommet, nous avons vu au loin le but de notre voyage, une muraille de pierre flanquée de tours de garde. Cela semblait presque irréel. Au sommet de cette colline trônait, impassible, un des vestiges des crimes contre l’Humanité. Nous descendons. Je suis déjà impressionné mais ce n’est là que le début. Nous pénétrons dans le mémorial et assistons à la projection d’un film qui nous raconte l’histoire du camp, de sa création à sa libération par l’armée américaine. Enfin, l’entrée dans le camp. Nous rentrons d’abord dans la cour des garages, là où les SS organisaient leurs cérémonies. Nous suivons ensuite monsieur Franck, qui mènera la visite dans les différentes parties du complexe. Nous nous arrêtons dans la cour principale, où les déportés devaient parfois rester plusieurs heures par jour immobiles, pour un « comptage » qui donnait l’occasion au SS de faire subir les pires vexations aux détenus. Nous découvrons ensuite les baraques où les déportés vivaient dans des conditions épouvantables et devaient endurer la colère des kapos. Ceux-ci profitaient de leur pouvoir sur les autres prisonniers pour s’imposer en véritables tyrans. Derrière ces murs, nous poursuivons vers « le Mur des Lamentations », où se trouvent des plaques commémoratives de dizaines de pays, en mémoire des disparus. Nous quittons ensuite l’enceinte pour nous rendre au monument des Belges. Nous déposons 2 gerbes de fleurs en mémoire de monsieur Paul Brusson et des déportés belges. Le passage par la carrière n’est pas forcément le plus agréable. Nous descendons l’escalier aux 186 marches, découvrons le mur des parachutistes, une paroi abrupte où les gardiens «balançaient» littéralement des détenus dans le vide, des « parachutistes sans parachute » selon l’humour local, et découvrons enfin la carrière. Nous apprenons que les détenus travaillant à la carrière sont ceux qui subiront les pires traitements et dont l’espérance de vie sera la plus réduite. La visite du camp m’a assommé: c’est autre chose de le voir de ses propres yeux que de le lire dans un livre. La brève visite du centre d’euthanasie d’Hartheim nous rappellera qu’il n’y avait pas que les Juifs et les résistants parmi les victimes des crimes de l’Allemagne nazie, mais aussi des Allemands qui ne correspondaient pas aux « critères de pureté » pour appartenir à la race des seigneurs. C’est là que seront gazés par milliers les « inaptes » de la nation, à savoir les handicapés mentaux et physiques.
La suite du voyage nous ramènera en Allemagne à Nuremberg. Nous visitons le centre d’étude sur le National-Socialisme et découvrons les stades géants où Hitler et sa clique organisaient les rassemblements du parti. C’est lors de la visite de ce musée que je saisirai enfin la déshumanisation dont faisaient preuve les nazis : des années d’endoctrinement, de propagande, de manipulation et de bourrage de crâne ont fini par porter leurs fruits: toute une génération d’hommes et de femmes avec les mêmes idées en tête : « tu fais partie d’une race supérieure, les Juifs sont des ennemis de la nation, nous sommes une grande puissance et nous prendrons ce qui nous revient de droit ». Voilà ce que ça a donné, une guerre mondiale, un génocide industriel et 50 millions de victimes. Et tout cela est arrivé parce que la démocratie a élu au pouvoir un obscur petit bonhomme brun et moustachu. Oui, élu, car Hitler ne s’empara pas du pouvoir, il y fut porté, et de façon démocratique. Il était en plus persuadé d’être investi d’une mission supérieure. Avec la conviction que son empire durerait mille ans. Jusqu’à ce que le drapeau rouge flotte sur Berlin, jusqu’à ce que lui-même décide d’en finir.
Revenons au présent. Dans ces temps difficiles, dans un contexte de crise économique et sociale, nous devons être vigilants, attentifs lors de campagnes politiques et électorales, nous devons faire attention à ne pas tomber dans le piège des partis d’extrême-droite et dans le populisme de bas-étage, les mêmes conditions qui permirent l’avènement du nazisme. Si nous oublions la démocratie, si nous oublions ce qui s’est passé en 1933, nous serons condamnés à revivre encore et encore les mêmes horreurs. « Si nous oublions le passé nous sommes condamnés à le revivre »
Pâques 2012 : Maurane devient Passeur de Mémoire
Maurane Raskinet, de 5G, a été choisie par l’équipe pédagogique pour représenter notre Athénée
au voyage de mémoire à Mauthausen offert par la Province de Liège et sa candidature a été retenue.
Elle a donc eu l’occasion de visiter pendant quelques jours le camp de concentration autrichien ainsi que
la ville de Nuremberg.
Le 8 mai 2012, lors d’une cérémonie où étaient invités tous les participants au voyage, elle a lu son texte
commémoratif :
« Lors du voyage, je n’ai pas eu l’occasion de faire des photos ou des films qui auraient certainement été
plus explicites. Mais j’ai écrit un texte sur mon ressenti par rapport au voyage.
Nous vivons dans un monde où, dès le plus jeune âge, les professeurs nous apprennent à différencier
le bien du mal.
Ils nous punissent lorsque nous nous battons avec un camarade de classe ou lui volons son goûter.
Ils nous apprennent la politesse et le respect des aînés.
Nous racontent les massacres et les génocides perpétrés par la race humaine dans le passé…
Tout ceci, pour nous éduquer et nous aider à marcher sur le droit chemin tout le long de notre vie.
Mais dites-moi … cela sert-il vraiment à quelque chose ? Sommes-nous vraiment capables, aujourd’hui,
de différencier ce qui est bon de ce qui est mauvais ? Enlevons-nous la partie gâtée de notre
subconscient comme on enlèverait un coup dans une pomme ?
Est-ce- que le mari qui rentre tous les soirs chez lui en battant sa femme fait la différence ?
Ou le riche bourgeois qui fraude le fisc, le PDG qui vire 10 de ses employés parce qu’ils ont pris une
pause trop longue, le dirigeant d’un pays qui massacre son peuple pour prouver son autorité,
ou tout simplement ce monsieur tout le monde qui passe à côté d’un SDF sans même lui adresser un regard …
Je dois avouer que ces propos paraissent durs et crus, cependant, c’est le genre de question que je me
posais après notre voyage à Mauthausen.
Au départ, je pensais certes en apprendre plus sur les camps, l’histoire de la 2e guerre mondiale, etc…
Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il m’interpelle à ce point.
En approchant du camp, on ne se rend pas vraiment compte de ce que l’on va voir, des témoignages et
vestiges de l’horreur que des milliers de personnes ont pu vivre.
Après avoir passé l’entrée que surplombait jadis le symbole du nazisme, nous voyions le fossé séparant les
conditions de vie des SS et celles des prisonniers politiques et résistants qui se battaient pour la liberté de leur patrie.
Ces derniers n’avaient pour logement que des baraques en bois, mal isolées, aux chambres
minuscules où ils se superposaient les uns les autres à cause de leur nombre trop important ; les murs
des cellules portant encore les traces des ongles des détenus poussés par le désespoir … Les récits
des historiens nous expliquant leurs conditions de vie et de travaille immondes et les traitements inhumains
donnés par les responsables du camp nous donnaient la description d’un cauchemar, d’une horreur sans
nom que je n’aurais même jamais osé imaginer.
Nous sommes également entrés dans une des chambres où les SS gazaient les prisonniers, nous étions une
quarantaine et étions déjà serrés alors qu’à l’époque ils pouvaient en entasser jusque 10 par mètre carré…
Même le bétail était mieux traité que ces détenus, des êtres humains de chair et de sang.
Les accompagnateurs nous ont également montré et expliqué les endroits où se passaient les exécutions et
la manière dont elles étaient perpétrées ou encore les expériences médicales tout à fait ignobles que les soit
disant médecins infligeaient aux détenus les plus faibles…
Et alors que je pensais avoir vu le pire, une accompagnatrice me confie que lorsqu’elle a pour la première fois
visité le camp de Mauthausen, elle lui trouvait des allures de camp de vacances, comparé aux autres sites
qu’elle avait visité…
Ces mots m’ont retournée. Quand je me dis que mes grands -parents et mes arrière grands-parents, eux-mêmes
résistants, ont failli se faire arrêter par la Wehrmacht et, certainement, terminer dans un endroit comme celui-là…
J’en ai la boule au ventre.
Et lorsque l’on se rend compte que, pour un homme, un jour, ce genre de camp était la meilleure chose qui pouvait
arriver au monde, que toutes les personnes exterminées et exploitées étaient de la vermine dont il fallait se
débarrasser… Lorsque l’on se dit que, pour lui, c’était la meilleure chose à faire, un acte bon et censé…
Alors comment, après cela, peut-on encore être sûr de la notion du bien et du mal ?
On peut essayer de se dire que tout cela est derrière nous, que nous avons appris de nos erreurs et que
nous faisons en sorte que cela ne se reproduise jamais. Mais la vérité, c’est qu’encore aujourd’hui, des
hommes quelconques ou des dirigeants commettent chaque jour des atrocités, que les discriminations raciales
ou religieuses ne font qu’augmenter et tout cela sans que qui que ce soit ne bouge le petit doigt.
Vous pouvez penser que j’ai une vision pessimiste des choses, mais c’est ainsi que je le ressens.
Je ne regrette en aucun point d’avoir fait ce voyage, ce fut une expérience enrichissante et j’y ai appris
énormément et en garde un bon souvenir.
Je pense que si plus de gens s’intéressaient de façon plus approfondie à notre histoire, s’ils faisaient ce
genre de voyage et avaient un bref aperçu de ce qui s’est passé pendant la guerre, ou tout autre
acte similaire, ils essayeraient peut-être de réagir face aux injustices que connaît notre monde actuel.
Et c’est à nous, la nouvelle génération, de faire en sorte que tout cela change. »